Life, so sweety

Life, so sweety

Victor Hugo

Victor Hugo (1802-1885)
 
Les Châtiments, 1853
(extraits)
 ***
Livre I, La société est sauvée.
VI. Le Te Deum du 1er janvier 1852
Prêtre, ta messe, écho des feux de peloton, 
Est une chose impie.
Derrière toi, le bras ployé sous le menton,
Rit la mort accroupie.
Prêtre, on voit frissonner, aux cieux d'où nous venons 
Les anges et les vierges,
Quand un évêque prend la mèche des canons
Pour allumer les cierges.
Tu veux être au sénat, voir ton siège élevé 
Et ta fortune accrue.
Soit ; mais pour bénir l'homme, attends qu'on ait lavé
Le pavé de la rue.

Peuples, gloire à Gessler ! meure Guillaume Tell !
Un râle sort de l'orgue.
Archevêque, on a pris pour bâtir ton autel
Les dalles de la morgue.
Quand tu dis : - Te Deum ! nous vous louons, Dieu fort ! 
Sabaoth des armées ! -
Il se mêle à l'encens une vapeur qui sort
Des fosses mal fermées.
On a tué, la nuit, on a tué, le jour, 
L'homme, l'enfant, la femme !
Crime et deuil ! Ce n'est plus l'aigle, c'est le vautour
Qui vole à Notre-Dame.
Va, prodigue au bandit les adorations 
Martyrs, vous l'entendîtes !
Dieu te voit, et là-haut tes bénédictions,
Ô prêtre, sont maudites !

Les proscrits sont partis, aux flancs du ponton noir,
Pour Alger, pour Cayenne ;
Ils ont vu Bonaparte à Paris, ils vont voir
En Afrique l'hyène.
Ouvriers, paysans qu'on arrache au labour, 
Le sombre exil vous fauche !
Bien, regarde à ta droite, archevêque Sibour,
Et regarde à ta gauche :
Ton diacre est Trahison et ton sous-diacre est Vol 
Vends ton Dieu, vends ton âme.
Allons, coiffe ta mitre, allons, mets ton licol,
Chante, vieux prêtre infâme !
Le meurtre à tes côtés suit l'office divin, 
Criant : feu sur qui bouge !
Satan tient la burette, et ce n'est pas de vin
Que ton ciboire est rouge.
 
XV. Confrontations
Ô cadavres, parlez ! Quels sont vos assassins, 
Quelles mains ont plongé ces stylets dans vos seins ?
Toi d'abord, que je vois dans cette ombre apparaître,
Ton nom? - Religion. - Ton meurtrier? - Le prêtre.
- Vous, vos noms ? - Probité, pudeur, raison, vertu.
- Et qui vous égorgea ? - L'église. - Toi, qu'es-tu ?
- Je suis la foi publique. - Et qui t'a poignardée ?
- Le serment. - Toi, qui dors de ton sang inondée ?
- Mon nom était justice. - Et quel est ton bourreau ?
- Le juge. - Et toi, géant, sans glaive en ton fourreau ?
Et dont la boue éteint l'auréole enflammée ?
- Je m'appelle Austerlitz. - Qui t'a tué ? - L'armée.
 
Livre II : L'ordre est rétabli
IV. Souvenir de la nuit du 4
 
L'enfant avait reçu deux balles dans la tête. 
Le logis était propre, humble, paisible, honnête ;
On voyait un rameau bénit sur un portrait.
Une vieille grand'mère était là qui pleurait.
Nous le déshabillions en silence. Sa bouche,
Pâle, s'ouvrait ; la mort noyait son oeil farouche ;
Ses bras pendants semblaient demander des appuis.
Il avait dans sa poche une toupie en buis.
On pouvait mettre un doigt dans les trous de ses plaies.
Avez-vous vu saigner la mûre dans les haies ?
Son crâne était ouvert comme un bois qui se fend.
L'aïeule regarda déshabiller l'enfant,
Disant : -Comme il est blanc ! approchez donc la lampe.
Dieu ! ses pauvres cheveux sont collés sur sa tempe !
Et quand ce fut fini, le prit sur ses genoux.
La nuit était lugubre ; on entendait des coups
De fusil dans la rue où l'on en tuait d'autres.
- Il faut ensevelir l'enfant, dirent les nôtres.
Et l'on prit un drap blanc dans l'armoire en noyer.
L'aïeule cependant l'approchait du foyer
Comme pour réchauffer ses membres déjà roides.
Hélas ! ce que la mort touche de ses mains froides
Ne se réchauffe plus aux foyers d'ici-bas !
Elle pencha la tête et lui tira ses bas,
Et dans ses vieilles mains prit les pieds du cadavre.
- Est-ce que ce n'est pas une chose qui navre !
Cria-t-elle ; monsieur, il n'avait pas huit ans !
Ses maîtres, il allait en classe, étaient contents.
Monsieur, quand il fallait que je fisse une lettre,
C'est lui qui l'écrivait. Est-ce qu'on va se mettre
A tuer les enfants maintenant ? Ah ! mon Dieu !
On est donc des brigands ! Je vous demande un peu,
Il jouait ce matin, là, devant la fenêtre !
Dire qu'ils m'ont tué ce pauvre petit être
Il passait dans la rue, ils ont tiré dessus.
Monsieur, il était bon et doux comme un Jésus.
Moi je suis vieille, il est tout simple que je parte
Cela n'aurait rien fait à monsieur Bonaparte
De me tuer au lieu de tuer mon enfant ! -
Elle s'interrompit, les sanglots l'étouffant,
Puis elle dit, et tous pleuraient près de l'aïeule .
- Que vais-je devenir à présent toute seule ?
Expliquez-moi cela, vous autres, aujourd'hui.
Hélas ! je n'avais plus de sa mère que lui.
Pourquoi l'a-t-on tué ? je veux qu'on me l'explique.
L'enfant n'a pas crié vive la République. -
Nous nous taisions, debout et graves, chapeau bas,
Tremblant devant ce deuil qu'on ne console pas.

Vous ne compreniez point, mère, la politique.
Monsieur Napoléon, c'est son nom authentique,
Est pauvre, et même prince ; il aime les palais ;
Il lui convient d'avoir des chevaux, des valets,
De l'argent pour son jeu, sa table, son alcôve,
Ses chasses ; par la même occasion, il sauve
La famille, l'église et la société ;
Il veut avoir Saint-Cloud, plein de roses l'été,
Où viendront l'adorer les préfets et les maires
C'est pour cela qu'il faut que les vieilles grand'mères,
De leurs pauvres doigts gris que fait trembler le temps
Cousent dans le linceul des enfants de sept ans.
 
 
Livre III. La famille est restaurée
 
II. L'homme a ri
 
Ah ! tu finiras bien par hurler, misérable ! 
Encor tout haletant de ton crime exécrable,
Dans ton triomphe abject, si lugubre et si prompt,
Je t'ai saisi. J'ai mis l'écriteau sur ton front ;
Et maintenant la foule accourt, et te bafoue.
Toi, tandis qu'au poteau le châtiment te cloue,
Que le carcan te force à lever le menton,
Tandis que, de ta veste arrachant le bouton,
L'histoire à mes côtés met à nu ton épaule,
Tu dis : je ne sens rien ! et tu nous railles, drôle !
Ton rire sur mon nom gaîment vient écumer ;
Mais je tiens le fer rouge et vois ta chair fumer.
 
 
6.200 vers organisés en sept parties. 
Du règne de Napoléon III (Nox)...
... à l'espoir d'un avenir meilleur (Lux).


24/02/2007
0 Poster un commentaire

Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 16 autres membres