Life, so sweety

Life, so sweety

L'absurde. La Leçon de Ionesco

La Leçon, Eugène Ionesco (1912-1994).

Pièce brève - Drame comique.

Un professeur d'une soixantaine d'années, qui devient tyrannique au fil des pages... une élève de 18ans..., parfaitement docile, qu'il finira par tuer : "C'est la 40è de la journée, gnark, gnark !!!"

Une atmosphère de démence, et une vision bien pessimiste de la société des années 50.

 

- Extraits -

Le professeur : "Ce qui distingue les langues néo-espagnoles entre elles et leurs idiomes des autres groupes linguistiques tels que le groupe des langues autrichiennes et néo-autrichiennes ou hasbourgiques, aussi bien que des groupes espérantistes, helvétique, monégasques, suisse, andorrien, basque, pelote, aussi bien encore que des groupes des langues diplomatique et technique - ce qui les distingue, dis-je, c'est leur ressemblance frappante qui fait qu'on a bien du mal à les distinguer l'une de l'autre - je parle des langues néo-espagnoles entre elles, que l'on arrive à distinguer, cependant, grâce à leurs caractères distinctifs, preuves absolument indiscutables de l'extraordinaire ressemblance, qui rend indiscutable leur communauté d'origine, et qui en même temps, les différencie profondément - par le maintien des traits distinctifs dont je viens de parler."

"L'élève : Oooh ! ouuuuiii, monsieur !"

"Mais ne nous attardons pas dans les généralités..."

"Oh, monsieur..."

Cela a l'air de vous intéresser, tant mieux, tant mieux..."

"Oh, oui, monsieur..."

"Ne vous inquiétez pas mademoiselle. Nosu y reviendrons plus tard... à moins que ce ne soit plus du tout. Qui pourrait le dire ?"

"Oh, oui, monsieur."

"Toute langue, mademoiselle, sachez-le, souvenez-vous en jusqu'à l'heure de votre mort...  "

"Oh, oui, monsieur, jursqu'à l'heure de ma mort... Oui monsieur."

"... et ceci est encore un principe fondamental, toute langue n'est en somme qu'un langage; ce qui implique nécessairement qu'elle se compose de sons, ou..."

"Phonèmes..."

"J'allais vous le dire. N'étalez donc pas votre savoir. Ecoutez plutôt. "

 

***

(...) Arithmétisons donc un peu.

Oui, très volontiers, Monsieur.

Cela ne vous ennuierait pas de me dire...

Du tout, Monsieur, allez-y.

Combien font un et un?

Un et un font deux.

Emerveillé par le savoir de l'ÉIève.
Oh, mais c'est très bien. Vous me paraissez très avancée dans vos études. Vous aurez facilement votre doctorat total, Mademoiselle.

Je suis bien contente. D'autant plus que c'est vous qui le dites.

Poussons plus loin: combien font deux et un?

Trois.

Trois et un?

Quatre.

Quatre et un?

Cinq.

Cinq et un?

Six.

Six et un?

Sept.

Sept et un?

Huit.

Sept et un?

Huit... bis.

Très bonne réponse. Sept et un?

Huit ter.

Parfait Excellent. Sept et un?

Huit quater. Et parfois neuf.

Magnifique. Vous êtes magnifique. Vous êtes exquise. Je vous félicite chaleureusement, Mademoiselle. Ce n'est pas la peine de continuer. Pour l'addition vous êtes magistrale. Voyons la soustraction. Dites-moi, seulement, si vous n'êtes pas épuisée, combien font quatre moins trois?

Quatre moins trois?... Quatre moins trois?

Oui. Je veux dire : retirez trois de quatre.

Ca fait... sept?

Je m'excuse d'être obligé de vous contredire. Quatre moins trois ne font pas sept. Vous confondez:quatre plus trois font sept, quatre moins trois ne font pas sept... Il ne s'agit plus d'additionner, il faut soustraire maintenant.

Oui... oui...

Quatre moins trois font... Combien?... Combien?

Quatre ?

Non, Mademoiselle, ce n'est pas ça.

Trois, alors.

Non plus, Mademoiselle... Pardon, je dois le dire... ça ne fait pas ça... mes excuses.

Quatre moins trois... Quatre moins trois... Quatre moins trois?... ça ne fait tout de même pas dix?

Oh, certainement pas, Mademoiselle. Mais il ne s'agit pas de deviner, il faut raisonner. Tâchons de le déduire ensemble. Voulez-vous compter?

Oui, Monsieur. Un..., deux... euh

Vous savez bien compter? Jusqu'à combien savez vous compter?

Je puis compter... à l'infini.

Cela n'est pas possible, Mademoiselle.

Alors, mettons jusqu'à seize.

Cela suffit. Il faut savoir se limiter. Comptez donc, s'il vous plaît, je vous en prie.

Un, deux..., et puis après deux, il y a trois... quatre...

Arrêtez-vous, Mademoiselle. Quel nombre est plus grand? Trois ou quatre?

Euh... trois ou quatre? Quel est le plus grand? Le plus grand de trois ou quatre? Dans quel sens le plus grand?

Il y a des nombres plus petits et d'autres plus grands. Dans les nombres plus grands il y a plus d'unités que dans les petits...

... Que dans les petits nombres?

A moins que les petits aient des unités plus petites. Si elles sont toutes petites, il se peut qu'il y ait plus d'unités dans les petits nombres que dans les grands... s'il s'agit d'autres unités...

Dans ce cas, les petits nombres peuvent être plus grands que les grands nombres?

Laissons cela. ça nous mènerait beaucoup trop loin: sachez seulement qu'il n'y a pas que des nombres. il y a aussi des grandeurs, des sommes, il y a des groupes, il y a des tas, des tas de choses.telles que les prunes, les wagons, les oies, les pépins, etc. Supposons simplement, pour faciliter notre travail, que nous n'avons que des nombres égaux, les plus grands seront ceux qui auront le plus d'unités égales.

Celui qui en aura le plus sera le plus grand? Ah, je comprends, Monsieur, vous identifez la qualité à la quantité.

Cela est trop théorique, Mademoiselle, trop théorique. Vous n'avez pas à vous inquiéter de cela. Prenons notre exemple et raisonnons sur ce cas précis. Laissons pour plus tard les conclusions générales. Nous avons le nombre quatre et le nombre trois, avec chacun un nombre toujours égal d'unités; quel nombre sera le plus grand, le nombre plus petit ou le nombre plus grand?

Excusez-moi, Monsieur... Qu'entendez-vous par le nombre le plus grand? Est-ce celui qui est moins petit que l'autre?

C'est ça, Mademoiselle, parfait. Vous m'avez très bien compris.

Alors, c'est quatre. (...)



26/02/2007
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